« Le problème de ce droit à la déconnexion est qu’il n’est pas en phase avec la vie des gens, avec nos vies. »

Portrait Muriel Fagnoni

Crédit photo : E.Legouhy

Comment offrir une liberté d’organisation à ses collaborateurs dans un cadre juridique de plus en plus contraignant? C’est la question que s’est posée Muriel Fagnoni, dirigeante visionnaire, Vice-Présidente Executive de BETC. Elle partage avec nous la démarche innovante choisie par l’agence de publicité pour déployer le télétravail ainsi que sa vision du droit à la déconnexion en décalage avec les évolutions sociologiques.

Le travail flexible, est-ce une notion à laquelle vous adhérez ?

Chez BETC, nous avons choisi d’appeler « libre », plutôt que flexible le mode d’organisation du travail que nous proposons à nos collaborateurs. Nous aimons bien cette idée de liberté. Le malaise du cadre vient vraiment du fait qu’à un moment il se sent complètement dépossédé de son destin. La liberté, c’est reprendre prise sur sa vie. Cette notion nous paraissait vraiment importante.

Comment avez-vous envisagé et mis en place ce travail « libre » ?

Au moment de la réflexion sur notre organisation de travail, nous avons parcouru avec ma DRH énormément d’accords de télétravail pour trouver une formule qui nous correspondait. Un jour, elle m’en soumet un en me disant «tiens regarde celui-là, c’est le mieux que j’ai lu ». Et en le lisant, je me dis que ça ne va pas être possible, que c’est une organisation extrêmement contrainte, qui ne correspond pas à notre culture. Alors nous avons décidé d’implémenter le télétravail à notre manière, en proposant à chaque équipe de coopter son organisation du télétravail. C’était essentiel pour notre fonctionnement parce nos équipes  combinent des savoir-faire très différents et complémentaires. Nous avons ainsi créé des micro-cellules correspondant aux cellules organisationnelles qui font sens pour l’entreprise. Nous avons demandé à chaque micro-cellule de mettre en place ses propres modalités de télétravail sous le pilotage d’un chef de projet télétravail qui n’était pas le manager. Au final, il y a des équipes qui ont choisi de télétravailler 2 jours par semaines, d’autres 2 jours par mois. Les retours d’expérience des équipes sur la mise en place du télétravail ont été exemplaires. Les collaborateurs sont extrêmement contents de ce process.

Et aujourd’hui où en êtes-vous de ce déploiement du télétravail ?

Pour nous, mettre en place le télétravail était un impératif à partir du moment où l’entreprise avait décidé de déménager de Paris intra-muros à Pantin et que 85-90% de nos collaborateurs avaient un impact négatif sur leur temps de trajet. Nous avons commencé 1 an et demi avant le déménagement puis nous sommes montés en puissance. Aujourd’hui entre 55 et 60% des collaborateurs à qui nous avons proposé le télétravail l’ont choisi. Globalement les salariés ont le sentiment qu’ils sont plus efficaces, qu’ils sont plus productifs. Il y a évidemment des endroits dans l’agence où il y a moins de volontaires, par exemple chez les créatifs, notamment pour des questions d’outils technologiques et de façon de travailler en équipe.

Le seul effet pervers – parce que à 99% je pense que cette organisation est vertueuse –  c’est que le jour où les gens ne peuvent pas télétravailler, cela crée une frustration. Nous expliquons bien que pour pouvoir télétravailler il ne faut pas qu’il y ait une réunion avec le client, qui nécessite la présence du collaborateur. Même si nous faisons beaucoup de choses avec les écrans, il y a des moments où il faut être là physiquement. Nous vivons une époque extrêmement intéressante qui nous interroge sur ce qui fait une entreprise. Une entreprise, ce sont des valeurs, une culture, mais il y a aussi du quotidien, des choses partagées… L’objectif de 2017  va donc être pour nous d’être un peu centripète.

Le travail « libre » signifie-t-il plus de souplesse dans les rythmes de travail ?

La flexibilité sur les rythmes de travail est un sujet auquel je suis sensible parce que moi-même j’ai été directrice commerciale puis directeur général à temps partiel même si je l’admets le concept n’a pas forcément de sens pour un cadre dirigeant. Personne n’avait jamais vu de directrice générale à temps partiel. Je suis archi favorable au temps partiel y compris pour les hommes. Je trouve que c’est magnifique d’avoir d’autres envies.

Pour moi la flexibilité peut prendre plein de formes, comme le congé sabbatique, que j’ai expérimenté il y a quelques années. J’ai même essayé de promouvoir une forme de jobsharing sur 6 mois parce que je trouvais que c’était la meilleure solution pour des personnes qui voulaient faire un long break sans perdre leur portefeuille clients. Après pour organiser la flexibilité des rythmes de travail  sur une entreprise de 900 personnes dans le secteur de la publicité ça reste d’une complexité incroyable.

Et puis nous sommes aujourd’hui dans une situation antinomique : il y a d’un côté des changements sociologiques profonds que nous essayons de suivre et de l’autre un cadre juridique qui est de plus en plus rigide.

Le droit à la déconnexion, une incongruité pour une agence de pub ?

Nous sommes dans un secteur où les rythmes sont soutenus, parce qu’ils y a des échéances. C’est vrai que quand les gens vont bien, c’est simple de laisser chacun responsable de son organisation. Mais quand il y a des cas de détresse, tout à coup les règles reprennent le dessus. Et quand on est à la tête d’une entreprise et qu’on est soucieux de l’humain, c’est très compliqué de savoir où mettre le curseur. En termes de partage de bonnes pratiques, nous faisons de la sensibilisation depuis plus de 10 ans. La sensibilisation n’est pas suffisante mais elle est nécessaire. Nous avons posé plusieurs principes : par exemple pas d’email envoyé entre 21h et 8h et ne pas demander la réalisation d’un travail le soir pour le lendemain. Il faut faire des piqûres de rappel constamment. Quand nous repérons des managers défaillants, nous leur parlons et nous leur demandons de changer leurs pratiques.

Mais aujourd’hui, notre vrai sujet est de trouver des solutions utiles, et pas forcément révolutionnaires, pour mettre en pratique ce droit à la déconnexion, sans pénaliser ceux qui peuvent organiser leur vie différemment grâce à cette possibilité de se connecter à tout moment. Pourquoi irions-nous imposer une déconnexion le soir à ceux qui préfèrent partir tôt du bureau pour s’occuper de leurs enfants ou d’autre chose d’ailleurs ? Pour être honnête ce n’est pas simple.

Le problème de ce droit à la déconnexion est qu’il n’est pas en phase avec la vie des gens, avec nos vies. Les jeunes ne comprennent même pas le concept. Quant aux jeunes mamans, elles sont toutes favorables à la possibilité de travailler de chez elles à l’heure qu’elles veulent, à la souplesse… et, nous, nous sommes favorables à ce que les jeunes mamans fassent comme elles peuvent !

 Nous avons fait l’expérience d’un déjeuner de déconnexion que nous avons proposé à toute l’agence (sans le succès escompté – 24 participants seulement…). Le principe était un déjeuner en silence. Ce moment nous a étonnamment connectés positivement et nous a aidé à nous ressourcer. La coach nous a ensuite interrogés sur nos pratiques de connexion. Et nous nous sommes rendus compte à quel point – sur 24 personnes – nous avions des pratiques de connexion extrêmement différentes, avec des écarts de 1 à 10 en termes d’évaluation. Alors, vous imaginer trouver une loi qui convient à tous quand sur 24 personnes vous n’en avez pas une qui veut la même chose que son voisin.

Le droit à la déconnection ne serait donc pas en phase avec son temps ?

C’est comme si la sociologie et la vie des gens avaient 2 temps d’avance sur le code du travail.

D’ailleurs les journalistes parlent souvent des aspirations des jeunes générations à plus d’équilibre vie privée/vie pro mais ce n’est pas exact. J’ai l’impression que les gens passés 40 ans sont plus soucieux de leur équilibre vie pro/vie perso que les jeunes. Les jeunes, c’est autre chose, ils veulent à tout prix s’épanouir, réaliser tout ce qu’ils peuvent, beaucoup plus que les générations d’avant. Ils veulent même être leur propre principe d’apprentissage, mais du coup ils doivent faire beaucoup de choses, parce qu’ils n’apprennent qu’en faisant. C’est pour ça que le contrat à la Google avec 20% de temps pour développer un projet personnel, ça les fascine. Mais il ne faut pas se tromper, ce n’est pas un sujet d’équilibre. Les jeunes cherchent avant tout des entreprises qui leur offrent une complétude de parcours où ils peuvent toucher à tout.

D’ailleurs, cela pose la question du temps de travail et de sa mesure.  Quand un jeune talent est devant son ordinateur, est-il vraiment en train de travailler pour vous ou pour son prochain projet ?

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