Cadre avec son smartphone

Par Judy Raffray

Les cadres français vivent leur premier été en ayant le « droit » de se déconnecter ! En effet depuis le 1er janvier 2017, le droit à la déconnexion prévu dans le cadre de la loi Travail est entré en vigueur. Concrètement, toutes les entreprises de plus de 50 salariés doivent organiser une négociation annuelle avec les syndicats sur la régulation de l’utilisation des outils numériques. Casse-tête pour les Directions des Ressources Humaines qui se demandent comment elles vont s’y prendre. Entre les aspirations à l’autonomie des salariés, le contexte international de nombreuses entreprises et l’accélération du rythme de circulation et de la quantité d’information que chacun doit absorber, même les DRH les plus préoccupées du bien-être de leurs salariés s’arrachent les cheveux pour trouver des solutions bon sens.

Quelle démarche adopter pour que ce droit à la déconnexion ne devienne pas un énième dispositif qui ne sert pas son objet principal, mais finit par ajouter stress, risque juridique et process supplémentaire au sein des entreprises ? Nous faisons le point sur les difficultés que pose le droit à la déconnexion et sur les outils et démarches possibles pour trouver des solutions concrètes et équilibrées.

Un droit d’un autre temps ?

Après avoir provoqué les railleries de nos voisins qui le voyaient à contre-courant des évolutions technologiques, économiques et sociologiques, le droit à la déconnexion suscite aujourd’hui l’intérêt à l’étranger. L’Organisation Internationale du Travail dans son rapport sur le télétravail en Europe (Working anytime, anywhere: The effects on the world of work) publié en février 2017 consacre ainsi une partie sur les politiques du droit à la déconnexion en France et en Allemagne.

Alors le droit à la déconnexion est-il vraiment d’un autre temps ? Oui et non.

Oui, le droit à la déconnexion est d’une certaine manière à contre-courant des évolutions sociologiques parce qu’aujourd’hui le collaborateur vit dans un monde connecté en permanence. Les frontières entre la vie personnelle et la vie professionnelle sont devenues floues. C’est ce qu’on appelle le « blurring ». Certes le salarié qui dispose d’un smartphone reste potentiellement connecté à son bureau le soir, le week end et pendant les vacances mais il ne se déconnecte pas non plus de sa vie privée pendant sa journée de travail : consultation des réseaux sociaux et utilisation d’internet à titre privé sont le quotidien de la plupart des salariés. Si d’un côté 74% des cadres consultent leurs emails professionnels en dehors de leurs heures de travail, de l’autre les salariés surfent plus d’une heure par jour pour des motifs personnels pendant leurs heures de travail.

Le droit à la déconnexion est également d’un autre temps car les salariés aspirent à plus de flexibilité dans leur travail et en contrepartie sont prêts à reprendre le travail de chez eux en dehors des horaires habituels de bureau. Imposer des temps de déconnexion collectifs en dehors de plages horaires déterminées va contre cette souplesse d’organisation. Pour Muriel Fagnoni, Executive VP chez BETC, « le problème de ce droit à la déconnexion est qu’il n’est pas en phase avec la vie des gens, avec nos vies. Les jeunes ne comprennent même pas le concept. Quant aux jeunes mamans, elles sont toutes favorables à la possibilité de travailler de chez elles à l’heure qu’elles veulent, à la souplesse… et, nous, nous sommes favorables à ce que les jeunes mamans fassent comme elles peuvent ! ».

Un sujet qui questionne nos façons de travailler

Et pourtant, beaucoup d’entre-nous sont victimes au quotidien de cette hyperconnexion avec le sentiment d’un trop plein d’informations permanent que nous n’arrivons pas à trier, prioriser, le sentiment de ne pas avoir fait grand-chose de notre journée tout en ressentant une forme d’épuisement face à ce qui reste à faire. Le téléphone portable qui a remplacé notre réveil est notre premier compagnon du matin et récolte notre dernier regard le soir. Mais est-ce vraiment par choix ? Exprimons-nous vraiment notre liberté, notre autonomie dans ces usages numériques.

Et quand le blurring s’invite au bureau, on peut légitimement se poser la question de la performance des salariés ? On parle de droit à la déconnexion vis-à-vis de l’employeur mais quid de la déconnexion pendant la journée du salarié vis-à-vis de ses réseaux sociaux personnels, de ses sms familiaux ?

En même temps, le droit à la déconnexion questionne notre manière de collaborer. Il nous invite à nous arrêter sur nos pratiques et à nous interroger sur leur impact sur les autres. Quand j’envoie un email à 22 heures, est-ce que je le fais parce que je subis la pression de mon manager, parce que ma charge de travail est telle que je n’ai pas pu répondre avant ou seulement par automatisme ?

Ai-je vraiment besoin de répondre à cet email reçu à 21 h maintenant ? Et quel va être l’impact sur mes collaborateurs en copie qui vont le recevoir au moment de s’endormir ou pendant un dîner entre amis ?

Alors finalement, le droit à la déconnexion n’est-il pas – maladroitement – complètement de notre temps en ce qu’il nous oblige à aborder la question d’un savoir-vivre numérique à laquelle la société toute entière n’a pas pris le temps de réfléchir, peut-être par manque de recul sur les usages.

Les limites de la coercition et de l’injonction de faire

Alors comment fait-on pour mettre en place des pratiques favorisant un droit à la déconnexion réellement protecteur et en phase avec notre temps ?

Certaines entreprises ont choisi des solutions « coercitives » (empêcher l’envoi des emails en dehors des heures de bureau) peut-être pour couper court au débat et considérant que la sensibilisation des salariés et des managers ne suffirait pas à changer les pratiques. Ainsi, le groupe de prévoyance et de protection sociale Réunica a prévu la fermeture des messageries électroniques de 20 heures à 7 heures le matin et le week end.

Chez Allianz France, les e-mails envoyés le week-end sont mis en attente et n’arrivent à leurs destinataires que le lundi, sauf en cas d’urgence, comme lors des inondations ayant dévasté tout un territoire.

Ces solutions coercitives outre le fait que les salariés qui en ont besoin trouvent toujours de moyens pour les contourner (envoi de sms, échanges sur la messagerie personnelle) peuvent être en décalage avec  le mode de fonctionnement de certaines activités (quand les équipes travaillent sur plusieurs créneaux horaires par exemples) et les pratiques.

Impliquer les salariés et co-construire les bonnes pratiques

Alors comment trouver des modes de contrôle, des règles équilibrées et de bon sens en matière de déconnexion ? De nombreuses entreprises pour répondre à l’obligation de négociation annuelle sur la régulation des outils numériques accouchent de chartes de droit à la déconnexion qui sont parfois « déconnectées » des contraintes et besoins du terrain.

Trouver des solutions en phase avec l’activité des équipes et les attentes des collaborateurs nécessite une démarche qui les implique. Comment ? En les invitant à la  réflexion collective sur les pratiques de connexion au sein des services, des métiers, des fonctions, avec les clients, les prestataires externes etc… Cette phase de prise de conscience au sein des équipes est nécessaire pour révéler les automatismes, les excès, la perte de temps et d’efficacité provoquées par l’hyperconnexion. Ces pratiques répondent-elles à des besoins réels des collaborateurs, de l’entreprise, des clients ou sont-elles le symptôme d’une méconnaissance des outils, d’une désorganisation du service ou encore d’un problème managérial ? Ce travail de sensibilisation et de prise de conscience collective est le point de départ pour la co-construction de règles de savoir-vivre numérique communes. Certaines équipes décideront de formaliser leurs bonnes pratiques sous forme de mini-charte, d’autres préféreront la communication informelle et directe en se donnant des rendez-vous réguliers pour faire le point sur ce qui aura marché et ce qui aura moins bien marché. Ces bonnes pratiques seront d’autant mieux adoptées par les équipes qu’elles répondront aux besoins des collaborateurs qui les auront exprimées et choisies collectivement.

Grâce au droit à la déconnexion, les entreprises ont une formidable opportunité de réfléchir aux conditions de leur efficacité collective en osant la co-construction.

Si vous souhaitez en savoir plus sur les ateliers de sensibilisation et de co-construction proposés par House of Cadres, contactez-nous.

Sources :

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