« Il faut détoxifier le temps tant il est empoisonné jusqu’à la gorge. »

Pierre Moniz Barreto

Propos recueillis par Judy Raffray

 

Alors que l’infobésité et l’hyperconnection saturent nos cerveaux et que nos agendas semblent exploser, 3 millions de salariés présenteraient un risque élevé de burnout. Quand le monde du business semble fonctionner sur un rythme toujours plus effréné, certaines entreprises ont au contraire décidé de détoxifier le temps. C’est le credo de la philosophie « Slow ». Pierre Moniz Barreto spécialiste français du sujet, qui a rédigé l’ouvrage « Slow business: ralentir au travail et en finir avec le temps toxique » (Eyrolles),  nous explique en quoi le slow business loin d’être une apologie de la lenteur.

Si vous deviez nous faire un résumé du « Slow Business » pour les nuls que diriez-vous ?

Le Slow Business est une notion qui est apparue Outre-Atlantique et qui repose sur le principe suivant : il faut rééduquer les gens au temps, détoxifier le temps tant il est empoisonné jusqu’à la gorge. L’objectif est de retrouver un rapport plus sain au temps qu’il soit personnel ou professionnel.

Concrètement en quoi consiste le Slow Business?

Le slow repose sur 2 mots clés : la décélération et la détoxification. Petite précision, la décélération n’est pas l’apologie de la lenteur. Il s’agit seulement de réintroduire un peu de lenteur là où il n’y en avait plus du tout, de façon à retrouver un certain équilibre temporel. L’objectif est de créer de nouveaux rythmes alternant réactivité et décélération pour ne plus s’épuiser. En deuxième lieu, le slow invite à détoxifier le temps en luttant contre un certain nombre de facteurs qui empoisonnent notre temps. Ce sont par exemple toutes ces interruptions du type appels, sms, réseaux sociaux, emails qui perturbent notre concentration à tout moment de la journée et nous empêchent d’être efficaces au travail. Une manière d’y remédier est de travailler en blocs temporels.

Le slow business est ainsi un courant transverse qui part d’un travail fondamental de réflexion sur notre rapport au temps. Il est à cheval entre une vision du travail qui comprend des valeurs comme le bien-être, la maîtrise, la déculpabilisation etc. et des pratiques comme l’anti-présentéïsme, les vacances illimitées ou encore le flexible working. En termes de management, il s’agit de laisser aux individus plus d’autonomie. A partir de là, il y a plein d’outils disponibles pour mettre en pratique la « slow attitude ». La logique du ROWE (Results-Only Work Environnement), par exemple, participe du slow business. Il s’agit d’un système où les employés prennent le contrôle de leur temps professionnel : ils décident de façon autonome de leur agenda de travail et ne sont plus évalués au temps de présence, mais uniquement au résultat.

Le slow invite à entrer dans un nouveau dialogue avec ses collaborateurs, dans une nouvelle dimension du travail basée sur le principe de responsabilisation. Ainsi, Jeff Gunter, chef d’entreprise américain qui promeut le ROWE affirme : « je ne considère pas mes employés comme des ressources mais comme des partenaires ».  C’est parce qu’il établit un dialogue avec ses collaborateurs, parce que chacun peut s’expliquer, qu’un manager peut lâcher la bride.

Y-a-t-il vraiment des entreprises qui pratiquent le Slow Business ?

Oui, il y a des entreprises et des entrepreneurs qui ont été suffisamment innovants pour créer des méthodes de travail, de gouvernance et de management « slow ». Dans mon livre, je partage l’expérience de chefs d’entreprises qui ont pris le risque de réinventer leur rapport au temps,  avec beaucoup de réussite à la clé.  Mais il faut avouer que pour les premiers qui se sont lancé dans cette démarche c’était complètement fou !

Prenez Yvon Chouinard, patron mythique de Patagonia, la marque californienne de vêtements outdoor éco-conçus. Quand il a décidé de se lancer dans un management alternatif de son entreprise, tous les patrons américains lui ont dit mais « tu es fou, tu es en train de tout foutre en l’air ». Il leur a répondu : « moi je pense savoir ce que je fais, rendez-vous dans 15 ans ».  Eh bien, 15 ans après, il était en couverture du magazine américain Fortune qui classait Patagonia comme « The coolest company on the planet » (l’entreprise la plus « cool » de la planète).

Parmi ces génies qui se sont lancés dans cette aventure du Slow Business il y a des jeunes, des vieux, des Américains, des Français, des Scandinaves évidemment mais aussi des Asiatiques.

En France, je cite l’exemple de Philippe Laval, le CEO de l’entreprise française Evercontact,  qui a mis en place les vacances illimitées pour ses salariés en s’inspirant de la méthode de management adoptée par Netflix. Les gens lui disaient que c’était inapplicable et risqué pour la continuité des opérations dans une petite entreprise. Mais ça a super bien marché moyennant des outils de management différents. Tous les matins les collaborateurs font un « stand up », c’est-à-dire une réunion debout où chacun expose en 3 minutes ce qu’il a fait, ce qu’il va faire et ses problèmes éventuels. Les employés peuvent dire à ce moment s’ils désirent partir en vacances. Comme tout le monde est au courant des sujets brûlants et des congés des uns et des autres, il est plus facile de gérer les plannings de manière responsable.

Pensez-vous que le Slow Business a de beaux jours devant lui en France?

Les grandes entreprises françaises souffrent d’une force d’inertie et ont souvent peur de toucher à leurs façons de fonctionner. Les Américains de leur côté n’ont pas ces barrières, ils osent des trucs fous, testent, quitte à se tromper et à changer de méthode. En France, nous avons une façon de progresser pas à pas. C’est pour cela que je conseille toujours aux entreprises de faire un essai à petite échelle, pour limiter la prise de risque et se rassurer.

Aujourd’hui, les choses changent. D’une part les chefs d’entreprises français sont exposés à ce qui se passe aux quatre coins de la planète. D’autre part, les nouvelles générations ont beaucoup moins de problèmes conceptuels et pratiques à envisager le Slow Business, les entreprises libérées, le télétravail… Les plus jeunes générations ont un rapport au temps très différent. Et leur envie est en train de contaminer les autres générations. Adopter une démarche de Slow Business est une question de performance et d’avenir pour les entreprises.

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