« Je préfère cette flexibilité avec ses exigences plutôt que de rester bloquée au bureau même quand il n’y rien à faire. »
Propos recueillis par Judy Raffray
Nous avons rencontré Marta, responsable marketing Europe, Afrique et Moyen-Orient d’un leader mondial de l’édition de logiciel, en flexible working à Paris. Home office, horaires souples dans un environnement exigeant basé sur les résultats, Marta a décidé d’exploiter cette flexibilité d’organisation pour maximiser son efficacité professionnelle et gagner du temps pour le consacrer à sa famille.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Marta, je suis italienne, je vis en France depuis 15 ans. Je suis mariée avec un français et j’ai 2 filles de 11 ans et de 7 1/2 ans. Je suis responsable marketing Europe chez un leader mondial de l’édition de logiciels. J’ai commencé à travailler dans le bureau parisien de cette entreprise il y a 13 ans. C’est une société qui a énormément évolué depuis, y compris dans sa manière de travailler.
De quel type de flexibilité bénéficiez-vous ?
Je bénéficie d’une grande flexibilité d’organisation. Je travaille dans une entreprise américaine qui a une culture du résultat. Peu importe le lieu ou l’heure à laquelle je réalise mon travail tant que je délivre dans les délais convenus. Et comme mon poste n’exige pas que je sois présente physiquement au bureau tous les jours – mon équipe est physiquement à l’étranger, je peux facilement travailler de la maison si je le souhaite.
Concrètement comment vous organisez-vous au quotidien ?
J’ai la chance d’habiter à 5 minutes à pieds de mon bureau. Le matin, je peux décider d’y aller ou de travailler de la maison si j’ai besoin de me concentrer. En fonction de ce que j’ai à faire, je peux m’investir dans une activité de l’école à 8h30 puis être opérationnelle au bureau ou à la maison en télétravail à 9h30 comme tous les Parisiens. En général, j’aime travailler en home-office quand il n’y a personne chez moi, puis je vais au bureau l’après-midi pour prendre des appels avec les Etats-Unis, notamment si c’est une heure où mes filles rentrent de l’école. Je travaille énormément avec la côte Ouest des Etats-Unis. Donc le pic d’intensité de ma journée est vers 17 heures au moment-où les Californiens arrivent au bureau. Heureusement, ils commencent leur journée de travail très tôt, donc ça ne rallonge pas trop ma journée. Et quand j’ai fini mes réunions téléphoniques, je peux rentrer chez moi et être complètement disponible pour mes filles.
Est-ce que vous avez demandé à bénéficier de cette organisation ou vous l’a-t-on proposée ?
Cette flexibilité d’organisation fait partie intégrante de la culture anglo-saxonne de mon employeur. D’ailleurs, quand je parle à mes collègues américains et qu’il est 8h du matin là-bas, ils sont bien souvent encore chez eux. J’entends au bout du fil le chien qui aboie et les enfants en train de se préparer pour aller à l’école. Certains me parlent depuis leur voiture sur le trajet pour déposer leurs enfants à l’école. Les Américains partent tôt du bureau pour faire du sport ou s’occuper des enfants mais ils vont se reconnecter ensuite le soir. En Angleterre, le vendredi il n’y a jamais personne au bureau, les collègues travaillent de chez eux.
Le travail en « remote » (télétravail à 100%) est aussi très répandu chez mes collègues américains. Là-bas, si une personne est considérée comme experte dont l’entreprise a besoin, mais qu’elle habite au fin fond de la campagne, ce n’est pas un problème. L’entreprise lui permet de travailler de chez elle à plein temps. Le « remote working » commence à entrer dans les mœurs dans notre bureau français. Par exemple, j’ai un collègue qui habite à Lille, un autre à Bordeaux. Ils ne viennent à Paris que lorsque c’est nécessaire. L’entreprise a choisi d’embaucher le candidat de Lille, plutôt que des candidats basés à Paris, parce qu’ils pensaient qu’il était le meilleur.
Comment ce mode de travail fondé sur la flexibilité et le résultat est-il accepté par les équipes françaises qui connaissent une culture au travail plus présentéïste ?
J’ai clairement vu une évolution des mentalités en France chez les managers ou les membres de mon équipe. Aujourd’hui, mes collègues français sont plus décomplexés qu’il y a 10 ans et ont adopté cette façon de travailler. Ils ont compris que la flexibilité dans le travail était la meilleure chose à faire et que tout le monde y gagnait. Par exemple, certains de mes collègues habitent loin et peuvent optimiser leur temps de trajet en arrivant plus tôt ou plus tard au bureau, ou travailler de chez eux certains jours. Il n’y a pas longtemps mon chef disait « mon bureau, c’est mon ordinateur, je peux travailler de n’importe où ». Et, effectivement, il ne vient pas au bureau tous les jours. Bien-sûr il y a toujours quelques poches de résistance. J’entends encore de temps en temps certaines personnes dire « Oh regarde il n’a pas mis les pieds au bureau depuis 3 jours, on se demande bien ce qu’il fait ! ».
Le déclencheur qui a accéléré cette évolution vers plus de home office est le passage en open-space motivé par des contraintes d’espace dans nos bureaux parisiens. Depuis que nous sommes sur des plateaux, les collaborateurs choisissent plus naturellement de travailler de la maison pour des activités nécessitant calme ou concentration.
En termes d’organisation pour l’équipe comment cela se passe quand on est en flexible working ?
Pour être honnête, nous vendons des solutions de vidéo conférence, donc nous avons tous les outils pour faire des réunions à distance avec tous les membres de l’équipe, aucune excuse possible ! Le lundi est le jour de réunion où tout le monde doit être là au bureau. Sur notre système interne nous avons un agenda partagé. En ce qui concerne les collaborateurs à distance comme celui qui vit à Lille, il n’y a pas de différence. Ils sont autant intégrés dans l’équipe que les autres collègues. Ils participent aux événements et voyages d’entreprise, aux réunions d’équipe à distance et parfois physiquement. A la limite le collaborateur de Lille arrive parfois plus vite à Paris que celui qui habite à Boulogne !
Quels sont les avantages de cette flexibilité ?
Cette flexibilité me permet d’organiser mon temps comme je le souhaite. En ce qui me concerne j’ai décidé de condenser ma journée de travail, afin de libérer du temps pour faire ce qui est important pour moi, m’occuper de mes filles, m’investir dans des activités de leur école etc… Dans mon cas, le travail flexible ne signifie pas travailler moins. La quantité de travail à réaliser reste la même. Mais je préfère cette flexibilité avec ses exigences plutôt que de rester bloquée au bureau même quand il n’y rien à faire. Et cela arrive parfois ! J’ai l’impression de ne pas perdre mon temps. Il m’arrive d’être à la maison en fin d’après-midi, de m’occuper des devoirs des filles puis de reprendre mon travail le soir. En échange de cette flexibilité, l’entreprise attend de moi que je sois à la hauteur et que je sache m’organiser.
Une autre conséquence positive est que je ne prends plus jamais d’arrêt maladie. Si j’ai un gros rhume, je reste chez moi, mais honnêtement cela ne m’empêche pas de travailler. Je préviens juste mes équipes que je ne suis pas en forme et je fais ce que j’ai à faire à distance. Je n’appréhende plus le fait d’avoir une montagne de travail qui m’attend à mon retour. Je suis d’ailleurs curieuse de savoir s’il n’y a pas une baisse énorme de l’absentéïsme dans l’entreprise depuis que le home-office se généralise.
Quels sont les inconvénients de cette façon de travailler ?
Un des inconvénients du travail à distance est la question de la déconnexion. Les Américains travaillent beaucoup, même s’ils travaillent de chez eux. Dans mon entreprise, il y a un peu une culture de l’urgence : on s’attend à ce que vous répondiez tout de suite à un message ou à un appel. Comme nous disposons de toutes les technologies, nous n’avons pas d’excuse de ne pas répondre. Après, il faut savoir prendre du recul. Cela s’apprend. J’ai moi-même évolué en 13 ans. Les personnes qui en souffrent sont souvent celles qui sont désorganisée ou qui veulent tout contrôler dans le détail. Mais dans l’ensemble je trouve que nous arrivons à trouver un bon équilibre dans nos équipes en France.
Un autre inconvénient du travail à distance ce sont certaines résistances qui perdurent en France : il y a encore des gens qui portent un regard négatif sur leurs collègues qui font du home-office. En 2017, tu dois te justifier si tu es restée travailler chez toi. Cela évolue mais il y a encore des gens qui raisonnent comme ça.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à une personne qui veut travailler à distance ?
Il faut d’abord mettre des objectifs clairs afin que chacun sache quelles sont les attentes. A partir de là, chacun doit pouvoir travailler en autonomie, sans micro management de la part de son supérieur car cela mine la confiance, démotive et ne fait pas avancer. Une fois le contrat de confiance passé, cela doit se faire dans la sérénité et la flexibilité. Le collaborateur doit pouvoir dire à son manager : « je dois m’absenter pour un rendez-vous médical, mais ne t’inquiète pas le travail sera fait en temps et en heure. »
Quand on est à distance, il faut savoir rassurer. Evitez de disparaitre du radar pendant 3 jours. Il est important de montrer qu’on est là, qu’on interagit même si on n’est pas physiquement là et c’est normal. Nous sommes des êtres humains ! Il s’agit donc de gagner la confiance. Par exemple, si je reçois un email, je réponds dans un délai raisonnable. S’il y a une conférence téléphonique je me rends disponible. Bref, il faut être là où on nous attend et même parfois un peu plus en glissant de temps en temps au téléphone ou par email «ne t’inquiète pas, je suis sur le dossier ».
En home-office, on est forcément un peu plus coupé de l’équipe. Je conseille de déjeuner avec ses collègues dès qu’on le peut. Même si j’ai un poste avec des équipes qui ne sont pas en France, je vais à la cafétéria. Pour les jeunes qui arrivent dans un environnement flexible, il est important qu’ils s’imprègnent de la culture de l’entreprise avant de travailler à distance. Passer du temps dans l’entreprise, interagir pour comprendre son fonctionnement, sa culture, ses codes, est essentiel avant d’adopter un mode de travail flexible.
Le mot de la fin…
Je pense que le travail de demain sera de plus en plus basé sur l’autonomie, sur un contrat de confiance qui s’attache aux résultats et non au nombre d’heures passées derrière un bureau. Cette évolution va aussi toucher les grandes entreprises : les employés voudront et auront plus de liberté, de flexibilité leur permettant d’atteindre un meilleur équilibre entre vie professionnelle et privé.
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