Exemple de Top sharing à la tête d’un parti politique

Propos recueillis par Caroline de la Tournelle

Adèle Thorens Goumaz est conseillère nationale du parti des Verts pour le Canton de Vaud, en Suisse. Entre 2012 et 2016 elle a co-présidé le parti des Verts en Suisse avec Regula Rytz. Elles ont partagé la présidence du parti au niveau fédéral. C’est-à-dire qu’elles ont partagé le travail, les responsabilités, et le pouvoir lié à cette fonction. Aujourd’hui Adèle est toujours parlementaire de l’Etat fédéral suisse et nous confie sa vision du top sharing à son expérience unique à la tête du parti pendant 4 ans.

Quelle est la génèse de votre top sharing ?

Je suis entrée à la direction des Verts suisses au retour de mon congé maternité et j’étais prête à m’engager à un haut niveau de responsabilité politique. Mais je savais que mener une carrière politique et parlementaire de front, tout en se consacrant à sa famille serait un défi difficile à relever sur le long terme.

J’ai été nommée à la co-présidence du parti avec Regula Rytz en 2012, chacune de nous souhaitait consacrer du temps à sa famille, Regula à ses parents âgés, moi à ma fille encore jeune. Quoi qu’on en dise, se sont encore largement les femmes qui s’occupent au quotidien de leurs proches, parents ou enfants.

Seule, aucune de nous deux aurait pris cette responsabilité, à deux, tout devenait possible.

Auriez-vous été accepté la présidence seule ?

Non seulement je n’aurais pas accepté, mais je n’aurais même pas été candidate à ce poste. Le top sharing m’a permis d’envisager ces fonctions, et de les exercer, sans m’auto-censurer.

Dans notre cas particulier, la co-présidence avait même été souhaitée. Elle a permis de concilier la diversité des courants politiques, des communautés linguistiques et des sensibilités culturelles au sein de notre parti. Regula Rytz est suisse alémanique, apporte sa sensibilité et ses compétences sur les dossiers sociaux, son réseau syndical et son expérience de femme d’exécutif. Mon profil est très complémentaire avec le sien car je suis suisse romande, environnementaliste de formation, issue des milieux de la recherche et des ONG écologistes. Les différentes mouvances du parti se sont senties représentées, à une époque post-électorale où le parti était soumis à des tensions internes et avait besoin d’être resoudé.

Dans les entreprises on retrouve également une grande diversité des communautés et de sensibilités. Ne pourrait-on pas transposer l’exemple de votre parti à une entreprise multi-nationale ?

Si, bien sûr !

Le top sharing est un formidable moyen de gérer la diversité, comme je l’ai évoqué. Mais pas seulement. La co-présidence nous a également permis de partager et additionner nos compétences, nos savoirs et nos expériences.

Notre complémentarité nous a permis de développer des positions et analyses mieux fondées et mieux réfléchies. Le top sharing est donc également un formidable moyen de gérer la complexité.

En quoi le top sharing représente-t-il un enjeu, voire un progrès sociétal ?

Le top sharing représente un important enjeu sociétal : Il favorise l’accès des femmes à des postes de haute responsabilité et de pouvoir en leur permettant de concilier vie personnelle et vie professionnelle (ou vie politique dans mon cas). De nombreuses femmes auraient quitté leurs postes sans ces solutions, ou auraient mis leur carrière entre parenthèse.

Il représente également une vision du travail très progressiste, collaborative. Nous croyons profondément à l’intelligence collective. Elle nous permet de mieux fonder nos positions et favorise l’innovation. Elle nous permettra de mieux relever les défis de demain. Nos décisions se basent sur des échanges d’une grande richesse, qui nourrissent notre engagement. Ensemble, nous faisons avancer nos idées et nous nourrissons de nos complémentarités.

Dans notre cas, partager le pouvoir correspondait également à une valeur portée par les Verts.

 

Avez-vous rencontré des difficultés dans l’exercice partagé du pouvoir ?

Oui, mais pas forcément là où nous l’attendions. En interne, notre co-présidence était extrêmement bien perçue. D’après des études, notre co-présidence s’est traduite par le meilleur taux d’accord de la base du parti avec les décisions de ses élites (comparé aux autres partis du pays).

Nous étions surtout confrontées aux préjugés pré-existants sur les femmes au pouvoir. Nous étions surprises de voir que ces préjugés émanaient surtout de la part des médias, qui prenaient des positions plutôt conservatrices sur ce sujet. Pour beaucoup d’observateurs, partager le pouvoir était perçu comme un signe de faiblesse ou de manque d’autorité !

« Si vous avez du pouvoir, il faut être le seul à décider. » Le dialogue n’était pas perçu comme une source de meilleures décisions. Beaucoup ont aussi toujours du mal à voir le pouvoir personnifié par une femme.

Regula et moi avons des personnalités modérées et réfléchies. Nous ne faisons pas de « show ». C’était déstabilisant pour certains journalistes et analystes. Ils ont cherché ce qui pouvait nous séparer, ils essayaient de comparer nos prises de paroles, cherchant à prouver que nous étions en désaccord. On nous a souvent demandé « Mais entre nous, qui est le vrai boss entre vous deux ? »

Nous devions alors affronter un double challenge : incarner des femmes au pouvoir d’une part et partager ce pouvoir d’autre part. Pour beaucoup de personnes, ce fut trop d’innovation à la fois !

Après votre expérience de 4 ans à la tête du parti des Verts, quels sont vos conseils pour réussir le top sharing ?

Partager le pouvoir est un vrai cadeau. Certes, une co-présidence ou co-direction n’est pas accessible à tout le monde.

Si vous voulez réussir dans cette forme de management, vous devez premièrement être capable de faire totalement confiance à votre binôme et être solidaire avec lui.

Deuxièmement, vous devez être en mesure de développer une vision commune.

Et troisièmement, vous devez être très détendu à l’égard de votre égo. Vous ne pouvez partager le pouvoir que quand vous êtes fort(e) et que vous avez confiance en vous. Si vous avez des problèmes d’ego, cela ne fonctionnera pas, car vous vous sentirez toujours menacé par votre binôme.

Et ne prêtez jamais attention à la question stupide : « Qui est le vrai boss entre vous deux ? « !

Si vous savez gérer cela, vous allez vivre une expérience humaine unique et une relation professionnelle exceptionnelle.

Vous serez convaincu du fait que vous êtes plus forts à deux, plus forts ensembles quand vous vous investissez pour vos objectifs communs.

Partager le pouvoir n’est pas une chose si habituelle dans notre société compétitive. Si vous le faites, vous serez un pionnier.

 

Adèle Thorens Goumaz  Philosophe et politologue, elle a fait de la recherche et de l’enseignement en philosophie, éthique de l’environnement et en gestion durable des ressources. Elle a créé et dirigé le siège romand du Centre de formation WWF, puis sera élue au Conseil national en 2007.

Pour plus d’information, consultez notre Dossier Le Top & Job Sharing et lisez notre Fiche pratique.

Plus d’informations sur le colloque Job & Top Sharing : https://topjobsharing2017.com/

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