« La possibilité de travailler à distance m’a permis de ne pas avoir à choisir entre ma vie de famille et ma carrière professionnelle. »
House of Cadres est allé à la rencontre de Constance, manager d’une équipe en télétravail dans une ONG basée à Genève chargée de la régulation d’internet. Elle partage en toute transparence son quotidien de manager à distance depuis Paris et souligne l’importance de connaître son rythme et ses limites pour que cela fonctionne.
Quel type d’emploi flexible occupez-vous ?
Je télétravaille depuis mon domicile à Paris deux à trois jours par semaine alors que mon bureau et l’équipe que je manage se trouvent à Genève. Lorsque j’ai été embauchée, il y a presque 10 ans, mon mari et moi travaillions tous les deux en Suisse. Lorsqu’il s’est vu proposer une nouvelle opportunité professionnelle en France, mon entreprise m’a offert la possibilité de le suivre en continuant à travailler partiellement à distance. La condition de cette flexibilité était que je me déplace régulièrement à Genève pour garder un lien physique avec mon équipe et que je continue à assurer mes déplacements professionnels notamment aux Etats-Unis de manière régulière et suffisante comme ma fonction l’imposait.
L’organisation dans laquelle je travaille œuvre pour la régulation d’internet à l’échelle mondiale. Elle a donc une culture du télétravail. Dans le cadre de notre organisation, les collaborateurs représentent plus d’une vingtaine de nationalités, 50% des équipes télétravaillent dans 12 pays. La moitié de l’équipe que je manage est en télétravail. Depuis la naissance de l’organisation, il y a dix ans, nous avons développé des habitudes de travail et de réunions à distance en s’efforçant de garder une qualité d’échange aussi bonne qu’en présentiel. Cet aspect est vraiment très important. L’organisation a compris l’importance d’une communication fluide en investissant dans les outils les plus performants du marché pour gérer le travail à distance. Je pense par exemple à des outils de gestion transparente des agendas, des outils de vidéoconférence en interne et en externe et une messagerie instantanée. Beaucoup d’entreprises n’ont malheureusement pas encore fait cet effort indispensable pour développer un travail à distance efficace.
Concrètement comment se passe le management d’une équipe à distance quand on est soi-même en télétravail ?
Le télétravail nécessite de développer des réflexes qu’on n’a pas forcément quand on travaille physiquement au bureau. Lorsque je télétravaille, les gens s’attendent à ce que je sois connectée en permanence. Il faut que je me mette virtuellement en disponibilité de travailler avec d’autres et que je puisse signaler de manière virtuelle cette disponibilité ou indisponibilité. Si une personne de mon équipe a besoin d’une information de ma part, il faut qu’elle sache où je suis, si je suis occupée, en rendez-vous, en déplacement, en réunion… Nous avons donc des emplois du temps assez transparents disponibles en temps réel.
Bien que je sois en télétravail, mon employeur attend tout de même que je me déplace pour rencontrer régulièrement mon équipe car rien ne remplace la relation physique. Mon bureau étant à Genève ce n’est pas trop compliqué de faire l’aller-retour dans une journée depuis Paris. J’y vais donc environ une fois pas semaine. Concernant les membres de l’équipe qui sont en Asie ou de l’autre côté de l’Atlantique, nous avons une bonne vision de leur plage horaire de travail : nous savons par exemple que le bureau de Washington commence à nous envoyer des messages à partir de 14 ou 15 heures (heure française). Cela demande un peu d’anticipation, en particulier s’il y a des décisions à prendre qui impliquent des collaborateurs qui sont à l’autre bout du monde.
Est-ce que les collaborateurs sont formés à ce mode de fonctionnement des équipes à distance ?
Nous communiquons beaucoup sur ce mode de fonctionnement en interne mais seule une règle est précisément formalisée par les ressources humaines: quand un collaborateur télétravaille, il doit avoir une pièce dédiée pour travailler, qui ne soit pas une chambre. Cette exigence est compréhensible. Chacun doit pouvoir s’immerger dans une ambiance de travail sans être dérangé, pour se concentrer mais aussi participer à des vidéoconférences sereinement.
Qu’est-ce que tu apprécies particulièrement dans cette façon de travailler ? et quelles en sont les contraintes ?
La possibilité de travailler à distance m’a permis de ne pas avoir à choisir entre ma vie de famille et ma carrière professionnelle. Je me sentais bien dans cette entreprise que j’avais vu grandir. J’ai été la 12e personne employée de l’organisation qui compte aujourd’hui 100 collaborateurs ! Je ne me voyais pas abandonner cette aventure maintenant.
La deuxième chose que j’apprécie est que cela me permet de faire rentrer plus de choses dans ma journée, notamment en tant que mère de famille. Je ne travaille pas moins, mais j’ai la liberté de sectionner ma journée si j’en ai besoin et comme je le souhaite. Parfois je vais m’arrêter un peu plus tôt dans l’après-midi pour aller à un rendez-vous de médecin ou faire une activité en relation avec le quotidien de mes enfants. Si nécessaire, je peux travailler de nouveau un peu après le dîner, ce n’est absolument pas un problème. Cette flexibilité est vraiment appréciable mais le revers de la médaille est que cela densifie ma journée, mon année. Il faut avoir conscience que le rythme de travail peut être plus saccadé, moins linéaire. Ensuite, il faut en avoir envie et être capable de le gérer physiquement et psychologiquement. C’est pourquoi il est important de bien connaître ses limites, car on n’est pas complètement extensible.
Y-a-t-il une courbe d’apprentissage du travail flexible ?
Du fait qu’on a un travail flexible, les limites individuelles sont moins évidentes. Certaines personnes peuvent en profiter pour travailler moins mais ça se voit très vite ! D’autres personnes qui ne veulent rien rater peuvent être tentées de travailler un petit peu tout le temps. La fatigue et le corps vous le rappellent. Ce n’est intuitivement pas une évidence mais cela s’apprend, assez rapidement d’ailleurs.
Comment aidez-vous votre équipe pour gérer ce rythme ?
Comme je suis manager, je me dois d’être exemplaire pour l’équipe. Si je reçois le week end un email qui n’est pas urgent d’une personne de mon équipe, même si cela ne me prend qu’une minute pour répondre, je n’envoie la réponse que le lundi matin. Je peux, à titre personnel, décider de préparer la réponse avant mais je programmerai l’envoi pour le lundi matin. De cette manière, on temporise et on fait comprendre que ça n’a aucun sens d’être tout le temps dans l’urgence. C’est un sujet qui revient souvent dans notre organisation. Parce que nous travaillons sur des fuseaux horaires qui sont tellement différents, nous devons parfois traiter des urgences le soir ou le week end. Si on a été tout le temps dans l’urgence, on est incapable de s’occuper de la vraie urgence. Je travaille dans une organisation où les gens sont passionnés par ce qu’ils font. Le message que nous, managers, et que les ressources humaines diffusons est plutôt, « prenez vos vacances, et organisez-vous avec votre équipe, pour que, quand vous êtes en vacances, vous ne soyiez pas en train de travailler ». Quand on part, on doit pouvoir faire confiance à quelqu’un de son équipe pour gérer les sujets urgents.
Quels conseils à une personne qui voudrait télétravailler aujourd’hui ?
Il faut bien se connaître, connaître son rythme, et les éléments qui font qu’on se sent stimulé(e) ou non dans son travail. Il faut être capable de se motiver seul(e). Il y a aussi des gens qui peuvent en faire trop et s’enferment dans un rythme. En effet, on peut parfois être déconnecté, quand il n’y a pas les collègues pour rappeler qu’à 10 heures on peut faire une pause café. Mon conseil est donc de bien se connaître et si on fait ce choix d’anticiper les mesures qui feront que cela pourra marcher : garder un lien personnel avec l’entreprise en rencontrant régulièrement ses collègues, être capable de personnaliser ses relations sans forcément voir les gens tout le temps. Il ne faut pas oublier d’avoir une vie équilibrée.
Est-ce que tu alertes ton équipe au sujet de l’équilibre du rythme de travail à distance ?
Si on veut avoir une équipe qui fonctionne, il faut avoir des individus épanouis qui ont une vie qui fait sens, sinon ils vous quittent. J’ai recruté quelqu’un en tant que stagiaire il y a quelques années. Il a été embauché, a progressé dans l’organisation, a été promu et … est désormais papa. Sa manière de travailler a changé mais il toujours un excellent professionnel. Ce sont des choses qu’il faut prendre en compte dans une entreprise.
Le mot de la fin
Il me semble important que les entreprises proposent une diversité d’offres en termes d’environnement et de conditions de travail. Il y a eu un moment de ma vie où j’avais des enfants en bas-âge, un mari avec une carrière et une aspiration personnelle à poursuivre la mienne sur le même rythme. La possibilité de télétravailler m’a beaucoup arrangé. A d’autres moments de ma vie, j’aurai peut-être besoin d’une organisation encore différente. Les formes flexibles de travail sont assez neuves et nous sommes encore dans une phase de découverte de ce que nous devons ou ne devons pas faire pour qu’elles soient efficaces et positives, pour les individus et les entreprises. C’est un vrai sujet pour les professionnels des ressources humaines qui doivent aider à comprendre comment l’organisation du travail doit changer et aider à se poser les bonnes questions. D’ici quelques années, ce sera peut-être une évidence…
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