« C’est la diversité des situations qui fait la richesse du temps partagé. »
House of Cadres est allée à la rencontre de Joséphine Copete, DRH en temps partagé depuis 6 ans et responsable du développement du groupement d’employeur Gemploi qui couvre Paris et la région parisienne. Elle partage avec nous son expérience de cette forme innovante d’emploi, source d’une grande liberté et de flexibilité, encore peu connue mais qui se développe.
Joséphine, le Temps Partagé, qu’est ce que c’est ? Comment vous organisez-vous concrètement ?
Joséphine Copete : je suis DRH en temps partagé et je partage mon temps entre 3 entreprises : une startup, une entreprise industrielle traditionnelle de taille intermédiaire et une entreprise de nettoyage de 50 personnes.
Je suis aussi salariée 5 jours par mois d’un groupement d’employeur pour lequel j’assure le développement. Avant cela, je travaillais deux jours par semaine dans une entreprise et trois jours dans une autre. Ce qui était autrement plus confortable. Il vaut mieux d’ailleurs éviter comme moi de travailler dans 4 entreprises.
Il peut avoir confusion entre temps partagé, conseil ou le management de transition. A la différence d’une mission de conseil, les cadres en temps partagé vont dans chaque entreprise de façon récurrente et de façon pérenne. Ils occupent une fonction pérenne (DRH ou autre type de fonction). Même si ce sont essentiellement aujourd’hui des fonctions supports cela peut aussi concerner des fonctions opérationnelles, un cadre commercial par exemple. On peut certes aussi intervenir sur des missions plus courtes, pour un projet ou pour répondre à une problématique pour laquelle on a une expertise. On est dans ce cas à la croisée des chemins avec la mission de conseil. Mais le temps partagé suppose que, au delà du conseil que l’on va donner à l’entreprise, on va adresser des sujets très opérationnels en apportant des solutions concrètes.
Je suis en CDI, en temps partiel, avec trois des quatre structures. Avec la 4ème entreprise, je facture des prestations de services et je fais appel à une société de portage salarial qui me verse ma rémunération sous forme de salaire.
J’évite de travailler dans des entreprises de secteur similaire car la question de la confidentialité va se poser pour le dirigeant. Même si en réalité, cela est une fausse question car tout est cloisonné et qu’il y a des clauses de confidentialité dans les contrats de travail.
Pourquoi une entreprise fait appel à un collaborateur en temps partagé ?
Joséphine Copete : le temps partagé s’adresse à des TPE, PME, entreprises en croissance et startup. Le dirigeant peut souhaiter développer son entreprise ou un nouveau projet pour lequel il n’a pas l’expertise voulue ni le budget pour quelqu’un à temps complet. En RH, on peut alterner entre une entreprise que l’on doit accompagner dans sa décroissance, une autre que l’on doit aider à réorganiser, et une autre en pleine croissance pour laquelle on doit introduire des process qui vont accompagner l’organisation de l’entreprise et la structurer.
Mais il ne faut pas s’attendre à ce que l’on vienne vous chercher. Les dirigeants d’entreprises n’ont pas aujourd’hui le reflexe de recourir au temps partagé. C’est une solution encore peu connue et qui aujourd’hui n’est pas encore considérée comme une solution d’emploi même si le temps partagé tend à se développer. Il faut être bon commercial pour approcher des entreprises en direct.
Ce qu’attend le dirigeant, c’est que j’apporte des réponses concrètes et extrêmement opérationnelles aux problématiques à gérer dans la journée où je suis là. Je venais du développement RH. J’ai été obligée d’étendre ma palette de compétences à des domaines très opérationnels : le juridique, l’administration du personnel, la gestion de la paye ou de la mutuelle etc. Apporter des réponses opérationnelles, c’est une façon de se légitimer dans l’entreprise. Une fois le juridique et l’administratif géré, je peux alors discuter stratégie RH avec le dirigeant. Quand on accompagne la croissance ou la décroissance, le développement ou une réorganisation, le dirigeant attend de vous aussi que l’on puisse mettre en place une stratégie RH : mettre en place des plans de formation, réfléchir à des thématiques de formations, des entretiens d’évaluation.
Comment cela fonctionne au jour le jour ? Comment gère-t-on le quotidien et les urgences ?
Joséphine Copete : Je travaille dans 4 entreprises différentes depuis 6 ans : vous imaginez les contraintes que cela suppose. J’interviens une journée fixe par semaine dans une entreprise. Ce qui permet de s’organiser en interne et d’organiser des relais dans l’entreprise. Quand on est dans une entreprise, on ne peut pas être dérangée toutes les deux minutes : Vous êtes dédiée à cette entreprise 100 % de votre temps. Vous ne gérez pas les urgences des autres entreprises. Il faut donc être à même d’organiser des relais pour des urgences. Cela peut être une assistante de direction qui va gérer l’administratif. Ou le dirigeant qui va gérer les relations sociales. En cas de grande urgence, les dirigeants ont mon téléphone personnel et me laissent un message ou SMS. Et j’y réponds soit tôt le matin, soit à l’heure du déjeuner soit le soir. Je suis déjà pieuvre dans ma semaine, je ne peux pas l’être dans ma journée !
Quels sont les avantages de cette forme d’emploi ?
Je me suis épanouie à nouveau dans mon métier. Je travaille en direct avec les dirigeants, avec les entreprises. J’ai un impact très direct sur tout ce que je mets en place.
J’étais auparavant spécialisée dans le développement RH dans de grandes PME internationales. Dans des fonctions très process, je me rendais compte que la façon de pratiquer mon métier faisait moins de sens pour moi. Je souhaitais accompagner les projets, être proche des salariés. Pourquoi ne pas apporter mon expertise à des plus petites structures qui eux aussi ont des besoins ?
J’ai retrouvée de la liberté. Quatre entreprises c’est beaucoup. Cela doit reste exceptionnel. Mais si une entreprise évolue différemment, si on est au bout d’un projet, si les dirigeants changent, on peut changer plus facilement et ne pas se sentir pieds et poings liés dans une entreprise qui est en contradiction avec ses valeurs.
C’est aussi très extrêmement enrichissant professionnellement. Car on travaille dans des entreprises ayant des activités différentes, des cultures différentes et qui sont sur des temps de vie différents. On peut mutualiser ces expériences. Cela nécessite d’être extrêmement créatif dans la recherche de solutions car le spectre est très varié : chaque journée est intense.
Enfin, surtout, cette organisation donne de la flexibilité. De la liberté. Du temps. Je me garde tous les vendredis. J’ai cette journée de libre pour travailler quand j’ai une urgence ou pour la garder pour moi.
Quels sont les conseils que vous pourriez donner à quelqu’un qui souhaite se lancer en temps partagé ?
Joséphine Copete : Il faut réfléchir à sa situation financière car il est rare au départ de trouver deux emplois qui fassent un temps complet.
Il faut bien réfléchir à son projet : Quelle est ma cible d’entreprises ? Pourquoi j’ai envie de faire du temps partagé ? Parce que l’on veut du temps ? De la liberté ? Il faut aussi explorer d’autres pistes tels que le conseil, le management de transition. De comprendre ce que cela suppose que le travail en temps partagé. D’avoir une idée claire sur son projet.
Ensuite il faut apprendre à définir son offre de service. L’approche de l’entreprise ne se fait pas dans le cadre classique du CV. Car souvent nos CV sont longs, nous avons de nombreuses expériences. Et cela peut faire fuir le dirigeant qui ne sait pas ce que l’on peut lui apporter de manière opérationnelle. Le dirigeant de PME/TPE ne sera pas sensible aux expériences que j’ai pu accumuler mais aux compétences que je vais lui apporter : il faut pouvoir passer d’un CV, d’une expérience personnelle enrichissante racontée de manière chronologique, à une offre de compétences que l’on peut mettre au service de l’entreprise. C’est un travail qu’il faut faire sur soi. Il faut aussi bien travailler son argumentaire : savoir faire parler le dirigeant de ses besoins et savoir y répondre.
Enfin il est préférable de se faire accompagner. Cela permet de gagner du temps. J’avais exploré la piste du conseil, celle du management de transition. Puis s’est dessiné l’option du temps partagé que j’ai essayé seule. J’ai prospecté les premières entreprises via des salons, via mon réseau. J’ai commencé un jour par semaine puis deux, etc. Mais cela prenait du temps et j’ai cherché comment je pouvais être accompagnée. J’ai rejoint l’association CDME (Cadres Dirigeant Multi Employeur) qui est une association qui regroupe des cadres qui ont eu des fonctions de directions et qui veulent travailler en temps partagé.
Est-ce que tout le monde peut se lancer ?
Joséphine Copete : Il faut avoir des compétences commerciales car c’est au cadre en temps partagé de trouver l’entreprise. Ce qui n’était pas forcément mon cas. C’est au cadre en temps partagé d’être en capacité de trouver des missions. D’expliquer quels sont les projets sur lesquels il peut être appelé. C’est un exercice compliqué et qui peut être frustrant. En région parisienne, la demande existe mais elle n’est pas exprimée. Il faut donc convaincre le dirigeant et être proactif. L’idéal est de passer par un groupement d’employeurs. C’est le groupement d’employeur qui cherche les entreprises. Il se positionne comme pourvoyeur de ressources en temps partagé. Le groupement d’employeur embauche un salarié et le met à disposition de l’entreprise pour un temps défini. Il est néanmoins très rare que le groupement puisse proposer au cadre directement une activité à temps complet. Il faudra du temps pour aboutir au rythme idéal.
On ne travaille pas de la même façon en temps partagé. Il faut être flexible, mobile et avoir une grosse capacité de travail. Ne pas avoir peur de faire de l’opérationnel et faire beaucoup de choses par soi-même.
Ainsi qu’une bonne gestion du stress : il faut savoir prendre de la distance et du recul face aux problématiques d’une entreprise : vous pouvez avoir à gérer des choses extrêmement difficiles et importantes en une journée. Mais le soir vous devrez savoir couper pour aborder sereinement les problématiques d’une autre entreprise. J’appelle cela la capacité d’ouvrir et de fermer les boites : il faut savoir fermer une boite pour ouvrir la boite de la journée d’après.
Il faut aussi être couteau suisse dans sa palette de compétences puisqu’il il faut savoir répondre à tout. Enfin Il vaut mieux être très organisé. Organisé dans l’entreprise et dans sa vie à soi.
Mais c’est cette diversité des situations, cette efficacité et cette productivité décuplées, qui font la richesse de ces expériences.
Pour en savoir plus sur le temps partagé, consultez notre fiche pratique Le temps partagé.
Vous travaillez en mode flexibilité ? Vous souhaitez témoigner de bonnes pratiques dans votre entreprise ?
Votre témoignage nous intéresse !