« En Norvège, tout est basé sur la confiance et l’honnêteté. »
Laure est ingénieure dans le secteur de l’énergie et pilote de grands chantiers de câblage électrique. Après avoir été expatriée au Moyen-Orient et un passage à Paris, elle vit depuis 18 mois en Norvège. Cette mère de trois enfants nous livre son expérience au quotidien du travail dans un pays qui place l’équilibre familial et personnel bien avant la carrière professionnelle.
Dirais-tu que les Norvégiens travaillent de manière souple ?
En Norvège, dans les grandes entreprises comme la mienne, les salariés bénéficient de beaucoup de flexibilité. Climat rude oblige, les entreprises savent que les employés sont susceptibles d’être souvent malades. Donc, ils bénéficient de 25 jours de congés-maladie dans l’année qui peuvent être posés à tout moment sans justificatif médical dans la limite de 2 jours d’affilés.
Les collaborateurs ont aussi la possibilité, s’ils ne peuvent pas se rendre au bureau, de faire du « home office », c’est-à-dire de télétravailler depuis la maison. Quand je fais du « home office », j’informe ma hiérarchie et mes collègues le matin même, je travaille ensuite toute la journée avec mon PC sur lequel j’ai un accès à distance au serveur (donc à tous les documents comme si j’étais au bureau). Mes collaborateurs et mon chef peuvent évidemment m’appeler à tout moment. Cela ne pose de problème à personne.
Il y a aussi des avantages qui sont accordés aux salariés qui ont des enfants. Par exemple, les collaborateurs parents ont droit à 5 jours de congés par enfant-malade. Donc moi qui ai 3 enfants, j’ai le droit à un maximum de 15 jours enfant-malade par an ! Pas besoin de certificat médical, tout est basé sur la confiance. En même temps c’est une mesure de bon sens : le climat norvégien fait que les enfants sont très souvent malades !
Comment se passe une journée type de travail en Norvège ?
Les Norvégiens arrivent au travail vers 7h30-8H mais ne restent pas après 16h. Ils peuvent se reconnecter le soir de chez eux une fois leurs enfants couchés mais c’est en cas d’absolue nécessité ! Ils ne sont pas obsédés par le travail. Le plus important pour eux dans la vie, c’est d’abord la famille et le sport. Le travail est un « hobby » et un moyen de gagner sa vie. Un Norvégien est capable de démissionner si son travail est à 25 minutes de chez lui pour trouver un emploi plus proche de son domicile.
La journée au bureau ne dure donc pas plus de 8 heures, en revanche, il n’y a aucune perte de temps au travail. Par exemple, la pause déjeuner est courte, 20 minutes seulement. A la machine à café, chacun prend sa boisson et revient directement à ton bureau, sans perdre de temps à papoter.
Y-a-t-il une façon différente de manager en Norvège ?
En Norvège, on ne doit pas envier son voisin et les privilèges ne sont pas appréciés. C’est une des raisons pour laquelle les écarts de salaire ne sont pas très importants entre le haut et le bas de la pyramide sociale. Il y a certes le Roi, mais il est presque un sujet comme les autres (!), et le reste de la population est au même niveau.
Au travail, le manager ne doit pas se comporter trop en leader, ce serait mal perçu par ses collaborateurs puisqu’il est l’égal des autres salariés. Les chefs sont dans des open spaces comme tout le monde. Par exemple, dans mon entreprise, les 8 managers de la branche métier sont réunis dans la même pièce. C’est le reflet de toute la mentalité de la société norvégienne. Mon manager norvégien dit que la Norvège est « over democratised » : ici tout est transparent, tu peux par exemple savoir ce que gagne ton voisin et les ministres se promènent sans garde du corps !
Mais cette absence de hiérarchie bien marquée donne peu de poids aux responsables pour trancher. Les décisions mettent du temps à être prises car les managers norvégiens préfèrent faire émerger une solution commune plutôt que de statuer seul. Du coup, nous avons beaucoup de réunions pour chaque sujet impliquant une décision.
Qu’est-ce que tu apprécies particulièrement dans la façon de travailler en Norvège ?
La confiance et la transparence ! En Norvège, tout est basé sur la confiance et l’honnêteté. Personne ne pré-suppose que tu cherches à profiter du système ou que tu veux tricher. Si on est en réunion et qu’un collaborateur doit partir parce que son enfant est malade, il se lèvera de réunion et dira « excusez-moi je dois partir, ma fille est malade ». Il ne tournera pas autour du pot ou n’inventera pas d’excuses en prétextant un rendez-vous chez le client. D’ailleurs, les managers n’ont eux-mêmes aucun problème à dire à leurs collaborateurs qu’ils doivent accompagner leur enfant chez le dentiste.
Ce qui est aussi très agréable en Norvège c’est la ponctualité. On est à l’heure et on finit à l’heure. En tant que française, j’étais habituée à penser que, pour une réunion commençant à 11 heures, je pourrais arriver entre 11h et 11h05 puisque de toute façon les gens seraient encore en train de se raconter le match d’hier. En Norvège, cette façon de penser n’existe pas : dès l’heure prévue de la réunion, on lance le sujet. Du coup, tu as intérêt à bien gérer ton temps car les réunions s’enchaînent !
Quel bilan tires-tu de ce modèle norvégien et en quoi pourrait-il nous inspirer en France ?
Mon bilan est pour l’instant extrêmement positif.
Le home office et les journées pour enfant malade pourraient être appliqués en France si les Ressources Humaines le mettaient en avant. Cela simplifierait le quotidien de nombreuses personnes et réduirait sûrement l’absentéisme. Cela impliquerait évidemment que l’on rétablisse la confiance au centre de la relation professionnelle.
Le congé maternité de 1 an à partager entre la mère (qui doit prendre minimum 6 mois) et le père est une mesure phare de ces dernières années en Norvège. Après 3 à 6 mois à s’occuper de leur jeune enfant, les pères se sentent nettement plus à l’aise que ceux qui sont restes seulement 14 jours après la naissance ! La très belle conséquence sur le long terme est aussi leur implication dans l’éducation de leurs enfants au quotidien. Cette égalité de traitement se ressent au travail, les hommes autant que les femmes bénéficient des mêmes avantages et flexibilité pour être disponible pour leur famille.
Favoriser le bien-être des salariés devrait être primordial dans les entreprises en France. Les Norvégiens détestent le stress et font tout pour l’éviter. En entreprise, si quelqu’un dit qu’il ne va pas bien, qu’il est débordé, épuisé, on le prend avant tout très au sérieux. On lui propose de l’aide venant des fonctions support et on cherche une solution avec lui pour rétablir un équilibre acceptable pour lui. Et surtout, il n’est pas jugé. Le résultat est que les employés se sentent bien, ils sont sereins et donc plus efficaces pendant leur journée de travail.
Le bémol de cette aversion au stress est que l’implication de certains dans le travail peut parfois sembler légère, ne se sentant pas assez concernés par leurs responsabilités qu’ils estiment partagées entre tous. Cela peut engendrer des frustrations mais il faut faire avec ! A l’inverse, en France on travaille peut-être trop, et surtout on perd trop de temps entre les multiples pauses café et les déjeuners à rallonge. On ne devrait pas trouver cela normal de travailler jusqu’à à 21 heures. Cela devrait rester exceptionnel et l’exemple devrait venir des managers.
Le mot de la fin
L’éducation des enfants à l’école impacte notre culture du travail. Ce stress que les Norvégiens n’ont pas est lié à leur mode d’éducation. Les enfants norvégiens ne subissent pas de pression à l’école. Les enfants français grandissent avec l’idée que la vie est dure, qu’il faut toujours donner plus pour s’en sortir. Si on veut changer les habitudes de travail en France, cela doit aussi passer par un changement de mentalité à l’école.
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