Young Woman Working at Home, Small Office

par Judy Raffray

NB : cet article a été rédigé le 30 juin 2016, avant la publication de l’Ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail Article 24 sécurisant et assouplissant le télétravail. Pour une analyse à jour du sujet lisez notre article publié le 1er septembre 2017  Télétravail, ce que bouleversent les ordonnances.

Tu télétravailles ? Non, je fais du home office ! Pour le commun des mortels, la nuance entre le work-from-home, mobile working, home office ou encore télétravail… reste très floue. Ne représentent-ils pas tous une flexibilité offerte à certains salariés de travailler – plus ou moins régulièrement – de chez eux, ou d’un autre lieu, plutôt qu’au bureau ? Et pourtant les entreprises sont très prudentes dans l’emploi du terme télétravail.  Pourquoi donc certaines entreprises préfèrent-elles ne pas utiliser ce terme et affirment : « oui nous pratiquons le travail à distance mais pas le télétravail ! » ? Quelle sont les différences entre ces  termes et quelles sont les conséquences juridiques ou pratiques pour le salarié et l’entreprise ? Petit point sémantique et juridique pour y voir plus clair.

 

Le télétravail en France : une organisation très normée

 

Le télétravail est étymologiquement « le travail à distance », le préfixe télé- lui conférant également le sens de « travail exécuté par l’intermédiaire de la télécommunication». Le télétravail fait donc habituellement référence au travail à distance du siège principal de l’employeur, avec recours aux technologies de l’information : un ordinateur portable, une connexion internet et un téléphone mobile et c’est parti !

Le terme « télétravail » est devenu très circonscrit et contraignant juridiquement avec son inscription dans le code du travail. Ainsi, seul le travail à distance exercé dans les conditions prévues par la loi du 23 mars 2012 peut être appelé « télétravail ».

Pour qu’il y ait télétravail au sens du code du travail, il faut que le travail à distance s’exerce « dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci ». Si un salarié décide de travailler à distance, même avec l’accord verbal de son employeur, il n’est pas techniquement en télétravail s’il n’y a pas eu une formalisation contractuelle. Signer un avenant au contrat de travail n’est pas en soi compliqué, jusqu’ici tout va bien.

Par ailleurs, la loi invite à préciser les conditions d’exécution du télétravail, notamment les jours télétravaillés et les plages horaires pendant lesquelles le salarié doit être joignable. Le code du travail n’aborde donc explicitement le travail à distance que s’il est effectué de manière régulière au cours de la semaine : par exemple si le salarié travaille de chez lui chaque vendredi. Le télétravail est donc à distinguer du travail à distance « occasionnel », souvent appelé « home office », « mobile working » ou encore « work-from-home » (voir notre infographie). Ce dernier est envisagé par les entreprises comme une souplesse offerte à leurs salariés  qui peuvent ainsi prendre de manière ponctuelle une ou deux journées « mobiles » par mois pour travailler depuis leur domicile – par exemple parce qu’ils attendent le passage du plombier ou parce qu’ils ont besoin de se concentrer pour un travail de rédaction.

Définition télétravail home office

Ensuite, le code du travail prévoit un certain nombre d’obligations pesant sur l’employeur qui mettrait en place le télétravail. Ainsi, avant sa mise en place, ne serait-ce que pour un seul télétravailleur, le Comité d’Entreprise doit être consulté (cela concerne donc les entreprise qui ont 50 employés et plus) ou à défaut les délégués du personnel. Mais l’employeur peut passer outre si les représentants du personnel rendent un avis négatif. Il est fait allusion à la possibilité d’accords collectifs d’entreprise pour l’encadrer : le cinquième alinéa de l’article L1222-9 mentionnant ainsi « à défaut d’accord collectif applicable, le contrat de travail ou son avenant précise les modalités de contrôle du temps de travail« . L’accord d’entreprise n’est donc pas obligatoire pour la mise en place du télétravail mais il est fortement encouragé. « Le télétravail se met souvent en place à la suite d’une négociation individuelle avec un salarié. Lorsque l’entreprise compte une dizaine de télétravailleurs, la signature d’un accord devient nécessaire pour uniformiser les conditions offertes aux salariés », relève Yves Lasfargue, directeur de l’Observatoire du télétravail, des conditions de travail et de l’ergostressie.

Outre le fait que l’entreprise doit prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, (matériels, logiciels, abonnements, communications…), elle doit également s’assurer que le bureau au domicile de son salarié répond aux mêmes normes de santé et de sécurité que ses propres locaux. Dhiana Badji, avocate chez Jeantet précise : «ce n’est pas parce que l’employé travaille de chez lui que l’employeur est délié de ses obligations en matière de santé au travail ». Cela implique de vérifier que le salarié a un endroit dédié ou une pièce séparée, mais aussi de la conformité du poste de travail en termes d’ergonomie, d’installation électrique. On touche ici à un point plus délicat puisque le domicile du salarié sera considéré approprié ou non au travail à distance. Certaines entreprises font appel à un organisme agréé à leur frais pour effectuer ce diagnostic de manière neutre et professionnelle, d’autres se contentent d’une attestation sur l’honneur un peu moins intrusive…

Infographie Télétravail formel et home officeLe home office, la version « light » du travail à distance

 

Quand l’entreprise n’envisage le travail à distance que ponctuellement, elle n’organise pas un poste de travail spécifique au domicile du salarié puisqu’il ne s’agit pas d’une situation pérenne, voire elle laisse toute latitude à ses collaborateurs de choisir le lieu pour exercer leur travail : si un collaborateur se concentre mieux en rédigeant ses comptes-rendus depuis un jardin public pourquoi l’en empêcher ? Mais attention, même si le code du travail n’aborde pas spécifiquement la situation du travail à distance ponctuel, cela ne délie pas l’employeur de ses obligations en matière de santé et sécurité au travail. « Il est nécessaire, à mon sens d’encadrer les conditions de travail et de tenir compte des salariés qui travaillent à distance, même occasionnellement» souligne l’avocate de chez Jeantet, tout en précisant que «pour cela, il n’est pas nécessaire de faire un avenant au contrat de travail, une charte peut suffire. » Afin qu’elle soit appliquée de manière collective, il faut consulter le CHSCT (le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail) présent dans les entreprises de plus de 50 salariés et le comité d’entreprise (ou à défaut  les délégués du personnel qui émettent un avis). Si l’entreprise souhaite que cette charte soit contraignante, elle peut la rattacher au règlement intérieur et la déposer auprès du Conseil des Prud’hommes et de l’inspection du travail via la DIRECTE.

Bref vous l’aurez compris, le télétravail ce n’est pas du home office en tout cas en France. Ces différences sémantiques sont révélatrices d’un droit du travail à distance qui ne traite qu’une partie de la réalité des usages des entreprises et des salariés. Si l’esprit de la loi est de protéger le salarié, sa santé, sa vie privée, l’encadrement qu’elle prévoit rigidifie in fine une organisation qui devrait au contraire apporter de la souplesse et un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle pour les salariés. Le droit du travail à distance n’en est donc qu’à ses balbutiements et connaîtra des évolutions avec le recul sur les pratiques des salariés, notamment en termes de lieux de travail. Cela suppose pour que le code du travail n’ait pas deux trains de retard sur la réalité de terrain que tous les partenaires sociaux et le législateur comprennent les besoins non uniformes des salariés en matière de souplesse au travail.

Pour aller plus loin :

 

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